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Eric MÉCHOULAN

Ancien(ne) Directeur de programme Canada  du 01/07/2004  au 30/06/2010

Direction de programme : Esthétique et économie politique

Résumé : Les développements contemporains de l'économie « postfordiste » posent toute une série de problèmes liés à l'esthétique. Si, pourAdam Smith, le travail productif stocke du temps dans la marchandise et fait alors la valeur des biens, tandis que le travail « improductif » dépense du temps dans des performances et fait la valeur des « services » (dont l'exemple éminent est l'artiste), on voit aujourd'hui que c'est cette relation de service qui domine. Le développement technique des nouvelles formes de communication et l'insistance sur la circulation de l'information comme capital accroissent encore la valeur du travail immatériel dont l’ « improductivité » apparaît de plus en plus rentable. Là où l'ouvrier vendait sa force de travail comme quelque chose qu'il possédait et dont il se trouvait, du coup, aliéné en devenant machine, l'homme de services échange, avant tout, ce qu'il est qu'il doit constamment renouveler à la manière d'un surhormme, par la valeur de ses goûts personnels et par la virtuosité de son style propre. De nouvelles formes d'aliénation se sont ainsi mises en place au nom même de l'autonomie et de la singularité des individus.
C'est cette esthétisation de l'économie qu'il s'agit, pour moi, de penser. En quoi les modèles de l'oeuvre d'art, et la temporalité esthétique qu'ils proposent, peuvent-ils permettre de penser travail immatériel et valeur-travail ? Quels sont les rapports que l'on peut envisager entre l'immatériel, la dépense et le temps ? En revenant sur la figure du pervers, on pourra reprendre les propositions de Pierre Klossowski dans La monnaie vivante, tout en évaluant son rapport aux économies néo-classiques du désir (Walras). Cela devrait conduire à réexaminer les rapports entre le goût et le dégoût, la sociabilité et le libertinage, l'émotion voluptueuse et le « design émotionnel ». A partir de là, il sera possible de reprendre les questions politiques de la liberté (face au libertinage), de l'égalité (face à I'aristocratie de la valeur que suppose et compose le marché de l'art), de la fraternité (face aux phénomènes de bandes). Plus encore, c'est le problème de la souveraineté que ces considérations devraient permettre de reposer à partir des phénomènes de dépense improductive (Bataille), d'une esthétisation des rapports sociaux (Elias) et des valeurs de la grâce (don de Dieu ou style personnel). Enfin, j'aimerais proposer des pistes de réflexion sur la constitution du public (plutôt que du peuple ou de la nation) en fonction des échanges économiques (matériels ou symboliques) et, surtout, de ce qui ne s'échange pas.
Au bout du compte, je chercherai à comprendre si cette esthétisation de l'économie a dénoué les liens qui avaient été inventés à l'âge moderne entre politique et esthétique.