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Ferhat TAYLAN

Ancien(ne) Directeur de programme du 01/07/2013  au 30/06/2019

Direction de programme : Rationalité mésologique : émergence et transformations

Résumé : Dans un cours inédit de 1946, Georges Canguilhem annonçait la possibilité d’un programme de recherche concernant « la rationalisation des techniques d’aménagement des rapports entre l’homme et le milieu », projet qu’il n’a réalisé qu’en partie dans ses études concernant le taylorisme ou le béhaviorisme. Prolongeant cette piste de recherche par une enquête d’épistémologie historique, nous tenterons de rendre visible l’émergence, à partir du 18ème siècle, d’une véritable rationalité « mésologique » – pour reprendre le nom donné à la « science des milieux » par les médecins positivistes –. Comment en est-on arrivé à une raison qui pense le rapport des organismes à ce qui les entoure en vue de la modificabilité de ces organismes ? Sous quelles formes cette raison s’est-elle transformée depuis la fin du 18ème siècle ?
Loin de se réduire à une curiosité de l’histoire des sciences, cette raison agit pleinement dans l’ensemble des savoirs contemporains qui tendent à modifier les milieux humains pour modifier les comportements : au croisement des neurosciences, des sciences cognitives et de l’économie, « decision sciences » ou « attention economics » apparaissent aujourd’hui comme autant de savoirs mésologiques. Or, ces nouveaux savoirs ne sont pas apparus subitement le jour où on a inventé l’imagerie cérébrale. Leurs conditions de possibilité s’enracinent dans une longue durée, celle de l’élaboration d’une raison mésologique au croisement de la médecine et de la politique à partir de 1750, autour des figures de Cabanis, de Comte ou de Bertillon ; dans la réorientation profonde du concept de milieu chez Uexküll, mettant en lien la biologie avec la sémiotique à travers la conception d’un « milieu de signes » ; enfin, dans l’articulation de la psychologie à l’économie qui s’opère par l’idée d’un « milieu de comportement économique », à l’œuvre dans les behavioral economics dès 1950.
A travers le fil conducteur du concept de milieu, apparaît ainsi un ensemble de savoirs et de technologies politiques qui visent un gouvernement indirect des individus, investissant, modifiant, régulant les éléments de leurs milieux de vie. C’est cette généalogie de la raison mésologique que nous tenterons d’opérer dans les années qui viennent.