25-01-2018
Dans ce volume, nous souhaitons présenter des analyses touchant l’épistémologie des sciences humaines conduites à partir du cadre théorique offert par la pensée de Norbert Elias et solidaires de réflexions relatives à l’histoire des sciences humaines, les deux perspectives étant, dans notre esprit, plus complémentaires qu’exclusives.
On pense ainsi faire valoir l’intérêt de l’œuvre et de la pensée d’Elias pour un questionnement touchant l’articulation des différentes sciences humaines. Si ce projet d’intersections fut un temps novateur à l’égard des pratiques traditionnellement monodisciplinaires, il est devenu un lieu commun de la recherche, où il n’y a plus de discours ni d’équipe qui ne se veuillent trans- ou pluri- ou inter-disciplinaires et où la contestation des frontières entre disciplines est devenue monnaie courante. À cet égard, la théorie éliasienne peut donner les moyens conceptuels d’étayer ou de justifier une telle déclaration d’intentions. En effet, le discours d’Elias, qui peut se définir tantôt comme « sociologie historique » - « sociogenèse de la modernité », serait plus exacte – tantôt comme « psychologie sociale », théorise et met en œuvre une collaboration entre sociologie, histoire et psychologie. La théorie du processus de civilisation exige d’inscrire l’étude des sociétés humaines dans le cadre historique de leur développement sur la longue durée. En outre, la sociogenèse doit s’accompagner d’une psychogenèse des représentations. Elias, de façon élective, a en effet soulevé le problème de l’articulation entre inscription sociale et économie psychique. Il peut ainsi nous aider à donner consistance à des recherches et à des travaux se situant à l’intersection des différentes disciplines. D’abord, parce qu’il a poussé loin l’analyse des errements auxquels nous conduit la parcélarité ou le cloisonnement des savoirs et des pratiques. Ensuite, parce qu’il a mis lui-même en œuvre des recherches pluridisciplinaires qui se sont révélées fructueuses : à l’intersection de la sociologie et de l’histoire, d’une part, et, d’autre part, au croisement de la sociologie et de la psychologie. Nous verrons cependant qu’Elias peut également offrir des arguments pour penser ce qui résiste au syncrétisme voire à l’œcuménisme disciplinaire. Critique impitoyable de la philosophie, il semble par exemple exclure celle-ci de son projet scientifique. Il y a donc à ses yeux des murs disciplinaires solides et des divergences méthodologiques indépassables. Il opposera toujours ainsi sa sociologie historique fondée sur des données empiriques et la spéculation philosophique ou « métaphysique ».
Voir Elias et les disciplines, Tours, Presses universitaires François Rabelais, à paraître (avril 2018) avec les textes de Stéphane Dufoix, Florence Delmotte, Florence Hulak, Claire Pagès et Arnault Skornicki.