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Éric GUICHARD

Ancien(ne) Directeur de programme du 01/07/2010  au 30/06/2016

Direction de programme : L'Internet et l'écriture

Résumé : La direction de programme que nous souhaitons conduire vise à expliciter les relations entre science, savoir, technique et culture dans le contexte spécifique d’une réflexion sur l’internet.
Ce travail prolonge celui entamé depuis quinze ans dans nos séminaires de l’Atelier Internet (à l’ENS, Paris) et de l’Atelier Internet Lyonnais (à l’ENSSIB, Lyon).
À cet effet, nous entendons partir d’une approche anthropologique de la technique et insister sur le caractère intellectuel des pratiques des internautes en montrant que l’internet est affaire d’écriture. Aujourd’hui comme du temps d’Ératosthène, l’écriture est une circulation entre l’esprit, des supports matériels, des systèmes de signes et l’espace social — c’est une « technique de l’intellect ». Son histoire nous rappelle que toute modification d’un de ses constituants infléchit la nature et la position relative des autres, et par conséquent nos méthodes intellectuelles et nos raisonnements. Effectivement, l’internet remodèle nos savoir-faire de scripteurs ainsi que l’organisation de nos savoirs. Par exemple, l’alphabet binaire des ordinateurs mène à l’indistinction entre lettre, chiffre et ponctuation puis à la réorganisation de nos pratiques documentaires.
Or la matérialité de l’internet dévoile rapidement des enjeux de pouvoir, souvent occultés par des idéologies. Sans les négliger, nous nous intéresserons aux ordres de discours qui leur servent de terreau. Ceux-ci apparaissent pluriels et parfois conflictuels. Ainsi l’internet sert-il de révélateur aux débats politiques et aux rationalités qui se déploient au sein de nos sociétés. Pour autant, il ne leur est pas extérieur : il les nourrit et les écrit, les structure et finit par se confondre avec la culture qu’il engendre. Ce fait éclaire les limites de certaines analyses : parce qu’ils en restent à une conception étroitement utilitariste de la technique, les spécialistes des usages de l’internet et de la « fracture numérique » énoncent tous des discours analogues et chargés de violence symbolique —alors même qu’ils prétendent exprimer des utopies politiques divergentes.
Pour autant, il apparaît impossible de distinguer l’internet des discours à son sujet et de ses usages : mais n’est-ce pas le lot de toute technique ? Et si l’internet produit de la réalité sociale, s’il est culture, ne faut-il pas en étudier les termes concrets aussi bien que conceptuels ? C’est ce que nous comptons faire à travers l’analyse ciblée de nombreuses pratiques lettrées et savantes déployées sur l’internet.
Renouveau documentaire, essor de la preuve graphique et calcul nous semblent les trois ingrédients essentiels de nos méthodes actuelles et de nos raisonnements. Nous désirons en détailler les formes contemporaines, ainsi que leurs sources, en compagnie de mathématiciens, géographes, physiciens, philosophes, historiens, etc., afin de comprendre l’échafaudage de l’outillage mental contemporain.
Notre projet est donc celui d’une épistémologie concrète adossée à l’histoire et aux évolutions des sciences exactes comme humaines. Il vise à conceptualiser et traduire les dynamiques et tensions à l’oeuvre dans notre société en raison même de sa nature communicationnelle et réticulaire.